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Platon, dit-on, aimait les figues. Le philosophe
était donc aussi " philosicos " (qui aime les figues). Il les consommait
sèches, surtout. Celles qui se mastiquent lentement, ouvrent la soif et, à
cause des petits grains qui viennent se ficher dans les molaires, laissent un long
souvenir. Quoi de mieux adapté, en effet, aux plaisirs sans fin, charnus et
subtils de la pensée ?
La figue elle-même en est une bouleversante image. Avec sa complexité
cachée dans cet ordinaire petit sac de peau fine, elle est le fruit-symbole
par excellence, fruit de l'origine de l'homme, fruit de la connaissance. Le figuier
est, avec l'olivier, la vigne, le palmier-dattier et le grenadier, l'un des cinq arbres
de la Terre promise. Peut-être le roi des cinq. Et le premier des arbres explicitement
cité dans la Bible, puisque ses feuilles fournissent à Adam et à
Ève de quoi se couvrir après avoir croqué... non la pomme mais
le " fruit défendu, celui de l'arbre de la connaissance ".
Et si la pomme avait été une figue ?
Certains exégètes de la Bible en ont émis l'hypothèse,
en se fondant de surcroît sur la bizarrerie biologique du figuier : il ne produit
des fruits que s'il est cultivé, puisqu'il est par nature incapable de se reproduire
seul ; il faut l'intervention soit d'une minuscule larve qui se glisse dans le réceptacle
de la figue et transporte à l'intérieur la semence des fleurs mâles
vers les femelles, soit de la transplantation par la main de l'homme dans le figuier
domestique de " caprifigues ", les fleurs mâles fertiles du figuier
sauvage.
Bref, à la différence des autres arbres du jardin d'Eden, " donnant
selon leur espèce des fruits contenant leur semence ", le figuier
ne porte pas de semence. La figue, donc, n'est pas un fruit (ce sont, comme pour la
fraise, les petites graines qui croquent sous la dent qui en sont les fruits). Et
le figuier, dans toutes les traditions mythologiques, est l'arbre de la science, de
la connaissance, l'" arbre du monde qui joint la terre au ciel (en Asie
orientale), l'arbre sous lequel Bouddha reçoit son illumination et celui qui
abrita la naissance de Romulus et de Remus, l'arbre aussi que le Christ condamne à
la stérilité
La figue n'est pas un fruit, c'est le livre ouvert,
réconfortant, fragile, juteux, au cur battant, qui fond et qui crisse,
de l'imaginaire et des rêves humains.
J.M.L.C.P.
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