La première partie
de cette nouvelle " La pièce murée " a été
éditée lors du petit journal de février 2003
A son réveil, alors
qu'à pas menus Souricette allait et venait, préparant
son baluchon dans l'espoir de se rendre quand même chez sa
fille, Rat des champs ne gardait aucun souvenir de la nuit précédente.
La première chose qui retint cependant son attention fut
la boîte de fer ouverte; il s'emporta, accusa Souricette d'avoir
fouillé dans ses affaires pendant son sommeil. Celle-ci pleura,
s'indignant qu'on put l'accuser d'une telle invraisemblance: cette
boîte et son contenu la dégoûtaient tant qu'elle
aurait été tout à fait incapable d'un semblable
forfait. Rat des champs, sans doute rasséréné
par sa propre méchanceté, avait repris son travail
sans plus se soucier de sa maladie récente, ni d'un éventuel
voyage. Souricette, par contre, ne se sentait pas bien; tant d'indifférence
et maintenant d'injustice la blessaient profondément. Rat
des champs sortit sans mot dire. Souricette, son baluchon terminé,
se mit à ranger, une fois de plus la maison.
La boîte de fer qui lui
répugnait tant était restée ouverte parterre,
à moitié renversée. Alors, prise d'une colère
qui soudain l'aveuglait, elle la poussa jusqu'à la cheminée,
la renversa entre les chenets, où les braises encore chaudes
réduisirent en cendres crapauds, serpents, vers et excréments
de toute sortes. Puis, pattes brûlées, moustaches roussies,
elle se saisit de son baluchon et, serrant bien fort la courroie
entre ses dents, le tirant cahin-caha à travers les vignes,
elle entreprit seule le long chemin qui menait chez sa fille.
Quand Rat des champs rentra,
ce fut terrible. Il trouva la porte ouverte, la maison vide, vit
la boîte renversée et les cendres dans la cheminée;
il crut que Souricette l'avait définitivement quitté,
et qu' avant de partir, elle avait, pour se venger de toute cette
tristesse dans laquelle il la faisait vivre sans raison depuis des
semaines, brûlé tout ce qui lui était précieux,
ses chères statistiques comprises. Sa vie alors, n'avait
plus de sens. C'est pourquoi, sans doute, il grimpa sur la grosse
poutre, celle-la même où l'on rangeait les cordes à
baluchon, en tira une dont il fixa un bout à la poutre, enroula
l'autre bout autour de son cou, et sauta dans le vide.
Souricette ne le sut jamais
car, sur le chemin des vignes, elle avait rencontré Matouroux,
le chat du moulin, dont elle était tombée, sur le
coup, éperdument amoureuse. Le coup de foudre étant
réciproque, il lui avait aussitôt porté son
baluchon jusqu'au moulin.
La liaison aurait pu paraître
contre nature, mais Matouroux était un angora castré
et végétarien qui ne se nourrissait que des grains
apportés au moulin. Ils partagèrent désormais
leurs repas et leurs nuits, Souricette bien au chaud, nichée
dans la fourrure de son Matouroux Ils se comblèrent mutuellement
de tendresse et d'attentions, et le reste du monde n'exista plus
pour eux.
Par contre, quand Élisabeth,
mon amie autrichienne, acquit avant moi, ce logis, la grande vieille
maison inhabitée depuis longtemps, et qu'elle pénétra
dans la sombre arrière-cuisine, le spectacle qui l'attendait
l'horrifia: au bout d'une corde, accrochée à une poutre,
pendait le cadavre desséché d'un rat!
D'un pas mal assuré
elle regagna son salon rose, d'une voix blanche, elle appela Jude.
Dès le lendemain celui-ci se rendit sur les lieux et, sans
discuter, mura l'arrière-cuisine.
De tout cela, lorsqu'elle me
fit les honneurs de sa maison, Élisabeth ne me dit strictement
rien . Ce n'est que des années plus tard que, devenue à
mon tour propriétaire de la maison, et rendant visite à
Basile à l'heure du thé, j'appris de la bouche de
ma voisine cette bien curieuse histoire.
Françoise AUTIN
|